Dans un arrêt rendu récemment (Cass. 1ère civ., 17 nov 2021, n° 20-19.420, JurisData n° 2021-018627), la plus haute juridiction de notre pays a déclaré qu’un mariage bigame valablement célébré à l’étranger devait produire tous ses effets en France pour pouvoir statuer sur la requête en divorce déposée par la seconde épouse d’un homme bigame. Voyons d’abord le contexte de cette décision puis les appréciations d’ordre juridique à en tirer.
Le contexte de la décision
Cette décision concernait des époux de nationalité libyenne mariés en Lybie mais vivant en France; la seconde épouse du mari déposait en France une requête en divorce. Le 15 mai 2019, la Cour d’Appel d’Orléans déclarait cette requête irrecevable au motif que la loi française ne reconnaissant pas le mariage bigame, le second mariage n’avait pas d’existence légale et ne pouvait donc être dissout. Un pourvoi en cassation amena l’affaire devant la haute juridiction qui jugea que l’interdiction de la bigamie en France n’empêchait le juge français de se prononcer sur la validité d’un second mariage. Comment cela est-il possible ? Bienvenu dans les arcanes du Droit International Privé !
Le droit applicable en la matière
En présence d’un lien d’extranéité dans une affaire, le juge français doit mettre en œuvre les règles de conflit de lois découlant de l’article 3 du Code Civil pour rechercher le droit (français ou étranger) désigné par cette règle : en l’occurrence il s’agit des conditions de fond du mariage qui sont régies par la loi personnelle des époux. Le juge français doit ensuite vérifier si la loi personnelle des époux (la Loi libyenne en l’occurrence) autorise la bigamie afin de pouvoir déclarer ou non la requête en divorce du second mariage recevable. En l’espèce, la Loi libyenne autorise la bigamie et le mariage avait été valablement célébré en Libye de sorte que l’union litigieuse doit produire ses effets en France avec pour conséquence que le juge français est valablement saisi de la requête en divorce de la seconde épouse.
Les effets en France d’un mariage bigame
C’est ainsi que l’application des règles du Droit International Privé permet à certaines coutumes étrangères de produire tout à fait légalement des effets en France auprès de certains étrangers; c’est le cas notamment des mariages bigames valablement célébrés à l’étranger qui produisent notamment les effets suivants :
- Droit pour la seconde épouse d’obtenir une pension alimentaire (décisions de la Cour de Cassation des 28 janvier 1958 et 19 février 1963)
- Droit pour la seconde épouse d’exercer des droits successoraux (décision de la Cour de Cassation du janvier 1980)
- Droit pour la seconde épouse de bénéficier d’une pension de réversion, en concours avec la première épouse ! (décision de la Cour de Cassation du 20 décembre 2018).
Néanmoins, la récente loi confortant le respect des principes de la République (loi n°2021-1109 du 24 août 2021 dans ses articles 25 et suivants) vient limiter les effets en France d’un mariage bigame valablement célébré à l’étranger. C’est ainsi que pour assurer l’égalité entre les hommes et les femmes et pour conforter l’ordre public national, le code de la sécurité sociale est modifié pour réserver la pension de réversion au premier conjoint survivant.