Article rédigé pour le blog de divorce-consulting.fr après avoir vu ce petit texte sur quora.com :
Oui, il m’a hurlé dessus à la fin quand je lui faisais remarquer sa cruauté et son manque d’empathie envers moi : “Mais tu ne comprends pas que je l’ai BOUSILLÉ ma femme !!!!”. Je ne l’ai pas compris sur le moment mais après j’ai compris qu’il me prévenait… J’ai compris aussi qu’il avait bousillé une de ses filles et qu’il était en train de faire la même chose avec une des miennes. Il est retourné avec sa femme depuis…ça me fait froid dans le dos pour elle. Je me dis qu’après l’avoir bousillé (25 ans de vie commune) il est retourné sans doute l’achever…🤮 »
Dans l’accompagnement des victimes de violences conjugales et psychologiques, une question revient fréquemment : le pervers narcissique (PN) est-il capable de prendre conscience de ses dysfonctionnements et de remettre en question ses comportements destructeurs ? Cette interrogation, loin d’être anodine, soulève des enjeux cruciaux pour les victimes qui espèrent parfois un changement de la part de leur agresseur, ainsi que pour les professionnels qui les accompagnent.
Description de la problématique
Les moments de lucidité apparente
Le témoignage présenté illustre parfaitement cette complexité : « Mais tu ne comprends pas que je l’ai BOUSILLÉ ma femme !!!! ». Cette exclamation révèle une forme de reconnaissance de la destruction causée, mais s’accompagne-t-elle véritablement d’une remise en question profonde ?
Les pervers narcissiques oscillent « entre une lucidité partielle et une autojustification permanente ». Ces éclairs de conscience ne constituent généralement pas une véritable prise de conscience transformatrice. Ces moments de lucidité sont « extrêmement rares » et correspondent souvent à des instants fugaces où le PN se retrouve « seul face à son vide ».
La conscience sans responsabilisation
Le pervers narcissique peut parfaitement connaître l’impact dévastateur de ses actes tout en maintenant ses mécanismes de défense. Il « calcule ses actions pour manipuler et contrôler », ce qui démontre une conscience stratégique de ses comportements. Cependant, cette lucidité opérationnelle ne s’accompagne pas d’une authentique responsabilisation émotionnelle.
Dans le témoignage cité, l’homme reconnaît avoir « bousillé » sa première épouse, mais cette reconnaissance semble davantage servir d’avertissement ou de justification que de véritable repentir. Plus troublant encore, il reproduit le même schéma destructeur avec d’autres victimes, notamment les enfants.
Le paradoxe de la connaissance sans changement
Le pervers narcissique « ne se remet jamais en question (il en est incapable) » selon l’analyse psychanalytique. Cette incapacité structurelle explique pourquoi la reconnaissance ponctuelle de ses actes destructeurs ne débouche jamais sur une modification durable de ses comportements.
Causes de la problématique
Organisation psychique particulière
La structure psychique du pervers narcissique constitue le principal obstacle à toute remise en question authentique. Plusieurs mécanismes fondamentaux entrent en jeu :
Le clivage psychique : Le PN maintient une séparation étanche entre ses actes destructeurs et l’image idéalisée qu’il a de lui-même. Cette dissociation lui permet de préserver son narcissisme tout en exerçant sa violence.
L’absence d’empathie véritable : Contrairement à ce que peuvent laisser penser certains moments de « lucidité », le PN ne ressent pas authentiquement la souffrance qu’il inflige. Sa compréhension reste purement intellectuelle et instrumentale.
La toute-puissance narcissique : Pour le pervers narcissique, « l’autre n’existe pas, il n’est qu’un objet qu’il manipule et qu’il détruit ou élève à son gré ». Cette vision objectifiante des relations humaines rend impossible toute véritable remise en question basée sur la reconnaissance de l’altérité.
Mécanismes de défense rigides
Les mécanismes de défense du PN sont particulièrement rigides et résistants :
- La projection : Systématiquement, la responsabilité des dysfonctionnements est attribuée à autrui
- Le déni : Malgré les évidences, le PN minimise ou nie la portée de ses actes
- La rationalisation : Chaque comportement destructeur trouve sa justification logique
- L’identification projective : Le PN induit chez sa victime les émotions qu’il refuse de ressentir
Bénéfices secondaires
La perpétuation des comportements pervers procure au PN des bénéfices psychologiques essentiels à son équilibre précaire :
- Maintien d’un sentiment de toute-puissance
- Évitement de l’angoisse existentielle
- Contrôle absolu sur l’environnement relationnel
- Validation narcissique constante
Modalités de la remise en question : possibilités thérapeutiques
Les limites des approches traditionnelles
Lorsqu’un pervers narcissique consulte un thérapeute, « souvent ça ne durera pas longtemps et il vous dira que tout va bien, que c’est vous qui avez un problème ». Cette résistance massive au processus thérapeutique constitue le premier écueil.
Les approches psychothérapeutiques classiques se heurtent à plusieurs obstacles majeurs :
- La manipulation du cadre thérapeutique
- L’impossibilité d’établir une alliance thérapeutique authentique
- La transformation de la thérapie en nouveau terrain de manipulation
- L’absence de motivation réelle au changement
Conditions exceptionnelles de changement
Bien que la transformation soit exceptionnelle, certaines conditions peuvent favoriser un début de remise en question :
La confrontation à des conséquences majeures : Perte définitive de contrôle sur les victimes, isolement social complet, conséquences judiciaires ou professionnelles graves peuvent parfois ébranler l’organisation défensive.
L’effondrement narcissique : Dans de rares cas, l’accumulation d’échecs peut provoquer une décompensation qui ouvre une fenêtre thérapeutique.
L’approche psychanalytique adaptée : La psychanalyse peut représenter un espoir, mais elle nécessite des aménagements spécifiques pour « libérer » de ces fonctionnements toxiques. Cependant, cette approche concerne davantage la guérison des victimes que celle des agresseurs.
Thérapies spécialisées
Certaines approches thérapeutiques montrent des résultats mitigés mais méritent d’être mentionnées :
Thérapie dialectique comportementale (TDC) : Focalisée sur la régulation émotionnelle et l’acceptation, elle peut dans certains cas aider à développer des stratégies moins destructrices.
Thérapie des schémas : Cette approche vise à identifier et modifier les schémas précoces inadaptés, particulièrement les schémas de domination et d’exploitation.
Groupes thérapeutiques spécialisés : Rares mais existants, ces groupes permettent parfois une confrontation entre pairs difficile à éviter.
Réalité statistique
Même si « guérir un pervers narcissique est souvent considéré comme quasi impossible », certains professionnels maintiennent qu’un accompagnement adapté peut conduire à des améliorations marginales. Il est théoriquement « possible pour les pervers narcissiques de guérir et de vivre une vie plus saine et plus équilibrée », mais cette possibilité reste statistiquement négligeable.
Implications pour les victimes et l’accompagnement
Ne pas nourrir de faux espoirs
La question de la remise en question du pervers narcissique ne doit jamais servir à maintenir les victimes dans des situations dangereuses. L’espoir d’un changement constitue souvent un facteur de maintien dans la relation toxique.
Priorité à la protection
L’accompagnement professionnel doit privilégier la sécurité et la guérison des victimes plutôt que l’hypothétique transformation de l’agresseur. Les « moments fugaces » où le PN redevient charmant participent du mécanisme d’emprise et ne doivent pas être interprétés comme des signes d’évolution.
Importance de la formation des professionnels
Les intervenants sociaux, juristes et thérapeutes doivent être formés à reconnaître les spécificités du fonctionnement pervers narcissique pour éviter les pièges de la manipulation et orienter correctement les victimes.
Conclusion
Si le pervers narcissique peut occasionnellement faire preuve d’une lucidité partielle sur ses comportements destructeurs, cette prise de conscience ne constitue généralement pas une véritable remise en question transformatrice. L’organisation psychique particulière du PN, ses mécanismes de défense rigides et l’absence d’empathie authentique rendent le changement profond extrêmement rare.
Le témoignage présenté illustre parfaitement cette réalité : la reconnaissance de la destruction causée (« je l’ai bousillé ma femme ») s’accompagne d’une reproduction immédiate du même schéma avec d’autres victimes. Cette répétition souligne l’importance de ne pas confondre lucidité ponctuelle et capacité de transformation.
Pour les professionnels de l’accompagnement, il convient de rester réalistes quant aux possibilités d’évolution des pervers narcissiques tout en concentrant les efforts sur la protection et la guérison des victimes. La véritable priorité demeure la sortie de l’emprise et la reconstruction de ceux qui ont subi ces violences psychologiques.
Sources et références
- Marie-France Hirigoyen (1998). Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien. Paris : Syros.
- Jean-Charles Bouchoux (2011). Les pervers narcissiques : qui sont-ils, comment fonctionnent-ils, comment leur échapper ?. Paris : Eyrolles.
- Paul-Claude Racamier (1992). Le Génie des origines : Psychanalyse et psychoses. Paris : Payot.
- Maurice Hurni & Giovanna Stoll (2003). « Perversion narcissique dans les couples ». Revue française de psychanalyse, 67, 873-893.
- Pascal Couderc & Pascale Chapaux-Morelli (2005). La manipulation affective dans le couple : Faire face à un pervers narcissique. Paris : ESF.
- André Sirota (2017). Pervers narcissiques : comprendre, déjouer, surmonter. Éditions Le Manuscrit.
- Ressources en ligne consultées : pervers-narcissique.com, la-clinique-e-sante.com, psychologue.net (sites consultés en août 2025).
Note importante : Cet article s’appuie sur des données cliniques et des témoignages recueillis dans le cadre de l’accompagnement de victimes de violences psychologiques. Il ne constitue pas un diagnostic médical et ne remplace pas une consultation auprès d’un professionnel de santé mentale qualifié.

